Silvana PAMPANINI

 

 

 

Silvana, star absolue

 

«Scandaleusement comme il faut» proclame le titre de ses mémoires, rédigées sous forme de dialogue avec Garcia Lorca, Neruda et Prévert. Mélange inédit de sensualité latine, de décence bourgeoise et de gouaille romaine, aucune diva n’a incarné plus fidèlement son temps que Silvana Pampanini, idole des années 50 italiennes. Geoffroy CAILLET

 

         Elle a fixé le rendez-vous au très chic club des canotiers de Rome, sur les rives du Tibre. À son entrée, les habitués se retournent pour la saluer. Même sans ses gants de peau et son mouchoir de dentelle fine, on reconnaît immédiatement la diva en Silvana Pampanini. Sa voix est assurée, sa verve intacte. À quatre-vingt deux ans, elle sait qu’entre la fascination qu’elle continue d’exercer, ses paradoxes et ses bons mots, elle constitue du pain bénit pour les journalistes. À défaut d’être la dernière diva, elle fut sans conteste la première. Au cas où vous l’ignoriez elle vous le rappelle d’emblée. Nous ne parlerons donc pas de Gina (Lollobrigida) et de Sophia (Loren). Elle a assez répété ailleurs que c’est elle «qui les avait faites».

         Avec ce qu’il évoque d’exubérance friponne, son nom est déjà tout un programme. L’équivalent de «Pompadour» et de l’imagerie de boudoir qui l’accompagne. Les Italiens ne s’y sont pas trompés. «Pampanini suffit à évoquer un personnage féminin fait de collines, arrondi et plein de courbes…» avance même Stelle d’Italia, un album consacré aux divas du cinéma national. Mais comme elle le rappelle volontiers, c’est sous celui de Nini Pampan, anagramme forgé par Pierre Brisson et aussitôt repris comme enseigne par plusieurs cabarets parisiens, qu’elle fut le plus célébrée.

          Difficile d’expliquer ce qui destinait cette fille de bonne famille, romaine comme on en fait peu, à devenir un véritable phénomène de mœurs. Sans doute pas son enfance, toute traditionnelle entre l’école chez les sœurs et les leçons de sa tante Rosetta Pampanini, célèbre chanteuse lyrique. Ni son diplôme de piano et de chant de l’Académie de Santa Cecilia, qui lui valut d’être reçue par Pie XII en audience privée. Ses parents avaient pourtant de quoi s’inquiéter : «On a commencé à me demander en mariage à l’âge de douze ans. Un peu tôt je dirais…» rappelle-t-elle dans un grand éclat de rire. Tout s’accélère quand elle participe au concours de Miss Italie à Stresa en 1946. Le jury la classe seconde, déclenchant la fureur du public qui fait un scandale pour qu’elle obtienne la première place. Une aubaine pour le cinéma italien d’après-guerre en quête de nouveaux visages recrutés dans les concours de beauté. À la suite de la Pampanini, ses futures rivales suivront cette voie.

         Dès 1947, elle impose sa beauté triomphante de brune aux yeux verts dans Il segreto di Don Giovanni, conquérant une tête d’affiche qu’elle ne quittera plus. La guerre est oubliée et l’Italie a une furieuse envie de vivre. La décennie qui s’ouvre se veut riante, élégante, sensuelle et pourtant comme il faut. Les années cinquante seront à l’image de la Pampanini, «une Pampanini égale pour tous» comme le réclamait l’affiche d’un de ses films, au même titre que la Vespa, le loto sportif et les matchs de football. Les rôles s’enchaînent – jusqu’à huit par an – entre mélodrames, films d’aventure (L’épervier du Nil avec un Vittorio Gassman débutant) et films dramatiques (La strada lunga un anno de Giuseppe De Santis). Mais ce sont les comédies qui savent le mieux mettre en valeur sa fierté de fille sublime et l’aisance de son jeu flirtant souvent avec le vaudeville. La présidente, La femme qui inventa l’amour ou La belle de Rome, tourné au faîte de sa gloire sous la direction de Luigi Comencini : comme Martine Carol en France, ses films sont un hymne à la diva et à sa féminité pulpeuse. Mais aujourd’hui comme hier, elle s’en tient à son credo : «J’ai fait des choses un peu osées, mais jamais vulgaires. Le nu intégral est une erreur colossale». Qu’on ne croie pas que la censure y soit pour quelque chose. Pour elle «tout est question d’éducation». Qu’on se le dise.

         De la France, elle garde un souvenir enchanté. «J’y ai tourné avec les plus grands, vous savez…» lance-t-elle en passant tout à coup de l’italien au français. Et elle évoque La Tour de Nesle d’Abel Gance, où elle campait une Marguerite de Bourgogne vénéneuse à souhait aux côtés de Pierre Brasseur. Quand Jean Gabin vient tourner à Rome Fille dangereuse, c’est elle qui lui donne la réplique. «Il m’a félicité sur mon jeu. Imaginez ! Un compliment de Gabin, ça valait un Oscar…». À l’heure où ses rivales s’envolaient pour les États-Unis, elle déclina justement les propositions qu’Hollywood déposa à ses pieds. Et s’essaya même à la réalisation en consacrant à Verdi un documentaire, Melodie a Sant’Agata, récompensé par deux prix.

         Elle ne se vante pas davantage en répétant à qui veut l’entendre que pour sa carrière elle «n’a de merci à dire à personne». Comprenez à un mari producteur ou à un amant richissime. Nul besoin de la prier pour être plus explicite : «Je suis une des rares à avoir fait du cinéma sans être allée au lit avec quiconque» assène-t-elle. Autre paradoxe de celle qui avoue avoir reçu jusqu’à dix demandes en mariage par jour : elle ne s’est jamais mariée et on ne lui a connu aucune affaire scandaleuse. La liste de ses soupirants est pourtant célèbre. Totò, Alberto Sordi, le roi Farouk, Ali Khan, Omar Sharif, Tyrone Power et même le prince Akihito, actuel empereur du Japon, s’y essayèrent en vain. Deux autres se seraient contentés de moins : Orson Welles et… Fidel Castro. À tous elle opposa, câline ou menaçante, une fin de non-recevoir. Même le tout-puissant producteur Moris Ergas, soupirant éconduit qui avait tenté de la diffamer, en fit les frais au cours d’un procès dont mademoiselle Pampanini sortit archi victorieuse, sa réputation de vierge de fer renforcée. Cet imperturbable célibat, c’est à ses parents adorés qu’elle choisit de le vouer, se retirant pour eux au milieu des années soixante avant de reparaître beaucoup plus tard dans des rôles de guest star et des programmes télévisés.

         De sa voix aux accents tantôt enfantins et tantôt graves, elle admet aussi qu’il n’y avait «plus de rôle pour elle». Dans Il gaucho de Dino Risi, c’est le sien qu’elle jouait en interprétant une star au sommet de sa carrière mais déjà proche du déclin. Aujourd’hui, Silvana Pampanini a le cœur nostalgique : «Travailler dans les années cinquante était un rêve. Si le cinéma italien actuel est en crise, c’est parce qu’il le mérite! Car il ne fait pas travailler ceux qui connaissent le métier». Pour elle qui est restée fidèle à son pays, une certaine indifférence à son égard est difficile à supporter : «Je suis connue aux États-Unis, en France, au Japon, et pensez qu’ici en Italie, dans mon pays, je n’ai même pas reçu une invitation de Walter Veltroni [le maire de Rome, ndlr] pour la Fête du cinéma. C’est inadmissible…». Cette année pourtant, elle a assisté à l’anniversaire des 70 ans de Cinecittà aux côtés de Sophia Loren, la marraine officielle de l’événement. Un demi-siècle auparavant, l’une et l’autre ont brillé de tous leurs feux dans les célèbres studios. La préséance accordée à sa cadette ? Silvana rit. Silvana s’en moque. Tandis que le soir tombe sur Rome, elle parle de «refaire un film en France». Pourquoi pas ? Comme la ville dont elle fut une somptueuse icône, la Pampanini est éternelle.

 

FILMOGRAPHIE :

 

 

1947    o          Il segreto di Don Giovanni (Don Giovanni in trappola) de Camillo Mastrocinque

                                   avec Gino Bechi

            o          L’apocalisse (L’apocalypse) de Giuseppe Maria Scotese

                                   avec Massimo Serato

            o          Arrivederci, papà ! (Le choix des anges) de Camillo Mastrocinque

                                   avec Gino Bechi

1948    o          Il barone Carlo Mazza de Guido Brignone

                                   avec Nino Taranto

1949    o          I pompieri di Viggiù (Les pompiers de Viggiù) de Mario Mattoli

avec Nino Taranto

            o          Antonio di Padova de Pietro Francisci

                                   avec Aldo Fiorelli

            o          Biancaneve e i sette ladri de Giacomo Gentilomo

                                   avec Peppino De Filippo

            o          Marechiaro de Giorgio Ferroni

                                   avec Massimo Serato

            o          Lo sparviero del Nilo (L’épervier du Nil) de Giacomo Gentilomo

                                   avec Vittorio Gassman

            o          47 morto che parla de Carlo Ludovico Bragaglia

                                   avec Totò

1950    o          Il richiamo nella tempesta / Gli amanti dell’infinito / ...E le stelle non

                           attesero invano d’Oreste Palella

                                    avec Renato Baldini

            o          La bisarca de Giorgio Simonelli

                                   avec Peppino De Filippo

            o          È arrivato il cavaliere de Steno et Mario Monicelli

                                   avec Tino Scotti

            o          L’inafferrabile 12 (Mon frère a peur des femmes) de Mario Mattoli

                                   avec Walter Chiari

            o          Io sono il Capataz (Le retour de Pancho Villa) de Giorgio Simonelli

                                   avec Renato Rascel

1951    o          La paura fa 90 (Le mousquetaire fantôme) de Giorgio Simonelli

                                   avec Ugo Tognazzi

            o          Bellezze in bicicletta de Carlo Campogalliani

                                   avec Delia Scala

            o          Le avventure di Mandrin (Le chevalier sans loi) de Mario Soldati

avec Raf Vallone

o          Era lui... si ! si ! (Quelles  drôles  de nuits) de Vittorio Metz et Marcello Marchesi

avec Walter Chiari

            o          Miracolo a Viggiù de Luigi Giachino

                                   avec Teddy Reno

            o          O.K. Nerone (O.K. Néron) de Mario Soldati

                                   avec Walter Chiari

            o          Una bruna indiavolata (Ma brune sous pression) de Carlo Ludovico Bragaglia

                                   avec Ugo Tognazzi

            o          Ha fatto 13 de Carlo Manzoni

                                   avec Carlo Croccolo

1952    o          La tratta delle bianche (La traite des blanches) de Luigi Comencini

                                   avec Eleonora Rossi Drago

            o          La donna che inventò l’amore (La femme qui inventa l’amour) de Ferruccio Cerio

                                   avec Rossano Brazzi

            o          Processo alla città (Les coupables) de Luigi Zampa

                                   avec Amedeo Nazzari

            o          La presidentessa (Mademoiselle la présidente) de Pietro Germi

                                   avec Carlo Dapporto

            o          Koenigsmark de Solange Térac

                                   avec Jean-Pierre Aumont

            o          Canzoni di mezzo secolo de Domenico Paolella

                                   avec Franco Interlenghi

            o          Viva il cinema ! d’Enzo Trapani

                                    avec Delia Scala

            o          La peccatrice dell’isola (La fille de Palerme / La garce) de Sergio Corbucci

                                   avec Folco Lulli

            o          Bufere (Fille dangereuse) de Guido Brignone

                                   avec Jean Gabin

1953    o          Vortice (Angoisse d’une mère / Le cyclone) de Raffaello Matarazzo

                                   avec Massimo Girotti

            o          L’incantevole nemica (Patte de velours) de Claudio Gora

                                   avec Robert Lamoureux

            o          Canzoni, canzoni, canzoni (épisode Signora Grandi Firme) de Domenico Paolella

                                   avec Aroldo Tieri

            o          Noi cannibali (Nous les brutes) d’Antonio Leonviola

                                   avec Folco Lulli

            o          Un marito per Anna Zaccheo (La fille sans homme) de Giuseppe De Santis

avec Amedeo Nazzari

            o          Il matrimonio d’Antonio Petrucci

                                   avec Vittorio De Sica

            o          Amori di mezzo secolo (épisode Dopoguerra 1920) de Mario Chiari

                                   avec Alberto Sordi

            o          Un giorno in pretura (Les gaietés de la correctionnelle) de Steno

                                   avec Peppino De Filippo

1954    o          Allegro squadrone (Les gaîtés de l’escadron) de Paolo Moffa

                                   avec Vittorio De Sica

            o          La schiava del peccato (L'esclave du péché) de Raffaello Matarazzo

                                   avec Marcello Mastroianni

            o          La tour de Nesle d’Abel Gance

                                   avec Pierre Brasseur

            o          Orient Express (Orient-Express) de Carlo Ludovico Bragaglia

                                   avec Henri Vidal

            o          La principessa delle Canarie (Conquête héroïque / La déesse des tropiques) de Paolo Moffa

                                   avec Marcello Mastroianni

1955    o          La bella di Roma (La belle de Rome) de Luigi Comencini

                                   avec Alberto Sordi

            o          Racconti romani (Les mauvais garçons / Cette folle jeunesse) de Gianni Franciolini

                                   avec Vittorio De Sica

            o          Canzoni di tutta Italia de Domenico Paolella

                                   avec Rossana Podestà

1956    o          Saranno uomini de Silvio Siano

avec Massimo Girotti

            o          La loi des rues de Ralph Habib

                                   avec Raymond Pellegrin

1957    o          La strada lunga un anno de Giuseppe De Santis

                                   avec Massimo Girotti

1959    o          Sed de amor (Soif d’amour) d’Alfonso Corona Blake

                                   avec Pedro Armendariz

1960    o          Il terrore dei mari (La terreur des mers) de Domenico Paolella

                                   avec Don Megowan

1961    o          Mariti a congresso de Luigi Filippo D’Amico

                                    avec Walter Chiari

            o          La spada dell’Islam (L’épée de l’Islam) d’Enrico Bomba et Andrew Marton

                                   avec Rushdy Abaza

1964    o          Il gaucho de Dino Risi

                                   avec Vittorio Gassman

            o          Napoleoncito de Gilberto Martínez Solares

                                   avec Carlos Cortés

1966    o          Mondo pazzo... gente matta ! de Renato Polselli

                                   avec Alberto Bonucci

1967    o          Tres mil kilómetros de amor d’Agustín P. Delgado

                                   avec Jorge Alzaga

1971    o          Mazzabubù… quante corna stanno quaggiù ? de Mariano Laurenti

                                   avec Franco Franchi

1983    o          Il tassinaro d’Alberto Sordi

                                   avec Alberto Sordi

1995    o          Tiburzi de Paolo Benvenuti

                                   avec Marcello Bartolomei

 

À la télévision :

1999    o          Tre stelle de Pier Francesco Pingitore

                                   avec Tomas Arana

 

Réalisation :

1958    o          Melodie a Sant’Agata (court métrage documentaire)

 

 

 

© Geoffroy CAILLET pour Les Gens du Cinéma (mise à jour 05/04/2008)